Les monnaies locales peuvent elles relancer l'économie

Les monnaies locales peuvent-elles relancer l'économie ?

Les monnaies locales font concurrence aux monnaies officielles. Leur objectif : relocaliser l’économie, créer une cohésion collective et stimuler le pouvoir d’achat local. À l’aune de la crise financière et de la pandémie de coronavirus qui touchent tous les pays, qu’en penser ?

Ce sont des systèmes monétaires parallèles mais complémentaires qui ont jailli dans notre histoire moderne après la crise de 1929. Abolir la barrière de l’argent. Proposer un mode de règlement en circuit fermé : voilà les objectifs de ces monnaies qui, aujourd’hui se parent d’une autre dimension : “Utiliser la monnaie locale est un acte citoyen” explique Nicolas Guilhard, kiné à la ville et en charge du réseau des professionnels de la monnaie du Cairn à Grenoble qui compte 2000 membres et 300 professionnels adhérents. “Redonner du sens à un acte de payer, c’est important. Cette monnaie n’ayant de valeur que sur le territoire, c’est comme un bâton de témoin que l’on se passe entre nous et qui garantit que l’on va faire vivre l’économie locale”.

Ces valeurs sont bien les fondements de l’utilisation d’une monnaie locale par tous ceux qui l’ont adoptée. Pierre Bentata est professeur d’économie et auteur d’un essai "Libérez-vous" (éd. de l'Observatoire). Le sujet des monnaies locales trouve, selon lui, un écho particulier aujourd’hui : “Les grands enseignements de cette crise du COVID-19 et du confinement que nous venons de vivre c’est que la société civile s’est débrouillée toute seule. Ce sont les citoyens qui ont volé au secours de l’état et du système de santé (en confectionnant des masques notamment). La société civile peut être fière de voir qu’elle est capable de se protéger toute seule et qu’elle n’a finalement pas besoin d’un état si présent”.

Faut-il alors s’extraire de la collectivité, dépités, et partir élever des chèvres dans le Larzac ? “Il ne faut pas en vouloir à l’État”  répond l’économiste, “il faut juste se libérer de l’idée que nous dépendons de lui à tous les niveaux. Nous avons vu qu’une organisation plus décentralisée, qui laisse place à plus d’initiatives locales existe”. “La grande révélation de cette mobilisation générale, c’est qu’il y a eu un renversement complet de la logique de l’état. Celui qu’on considérait comme le plus puissant c’est celui qui a eu besoin le plus de la protection des autres”.

Se re-responsabiliser, se ré-approprier, se re-donner du pouvoir, voilà ce que nous pouvons faire via notamment les monnaies locales. L’euro crée certes une confiance de la monnaie dans le territoire européen mais elle reflète mal les problématiques locales - qu’ont en commun une Allemagne très industrielle et une Grèce qui vit du tourisme ?

Brésil, 1998. C’est pour permettre aux personnes exclues du système de sortir de l’extrême pauvreté et d’avoir un pouvoir économique au sein même de leur quartier que les 3200 habitants de Palmeras, une favela du nord-est du Brésil, ont créé leur monnaie locale, le Palmas et leur propre banque de micro-crédit. Le résultat est spectaculaire : 200 entreprises locales et 2000 emplois créés, le système a fait des émules - 103 autres banques communautaires ont vu le jour dans la région.

Pays Basque, 2010. C’est aussi pour une problématique bien locale que l’Eusko, monnaie la plus dynamique d’Europe a été créée : sauver l’Euskara, la langue basque. “Les vieux basques sont en train de mourir et la langue avec. Et chaque langue qui se perd, c’est l’avenir qui s’appauvrit” explique Dante Edme-Sanjurjo, le directeur général de l’Eusko. “La monnaie locale, c’est un projet de société, le projet d’une communauté”. Avec 1,8 million d’Euskos en circulation (“chaque mois on augmente de 50 000 euskos”), un réseau de plus de 1000 professionnels, 23 communes adhérentes, son modèle, réussi, est unique et exportable. Unique parce que l’Eusko est la seule monnaie au monde à avoir mis la défense de la langue dans son projet. Exportable parce qu’elle propose des formations agréées via un "Institut des monnaies locales". Des stagiaires du Stück (Strasbourg), de SolViolette (Toulouse) ou encore de la Bulle (Angoulême) sont venus s’y former. “Le plus dur ce n’est pas de se lancer c’est de se structurer, pour assurer un service de qualité, gérer la logistique, les bureaux de change. Nous avons mis 18 mois à préparer le lancement de l’Eusko. Notre expérience peut servir à tous ceux qui aimeraient franchir le pas” explique Dante Edme-Sanjurjo. L’Eusko vient d’atteindre son objectif : pour la première fois de son histoire, la langue basque a gagné des “locuteurs” - 40% des élèves en école primaire sont aujourd’hui scolarisés en filière bilingue français / basque.

Toutefois. Les écueils sont là.

Convaincre un public de plus en plus large est un défi de taille pour certaines monnaies qui peinent à se développer. Et si l’on se contentait d’acheter des produits locaux ? “Consommer local ne garantit pas que le professionnel à qui on paie va réinjecter cet argent dans le local. A contrario payer en Cairn à Grenoble, puisque cette monnaie n’a de valeur que dans notre région, cela permet de s’assurer que le professionnel va faire vivre un autre professionnel de chez nous” répond Nicolas Guilhard qui, pour les 10 ans de son fils a organisé un Escape Game dans le Vercors intégralement payé en Cairn. “Adhérer à une monnaie locale c’est s’inscrire dans une démarche collective. L’action est beaucoup plus forte” conclue-t-il. “Utiliser l’Eusko ça change vraiment les choses” renchérit Dante Edme-Sanjurjo. Pour la langue, on l’a vu. Mais aussi pour l’économie. L’Eusko a aussi permis d’importer la culture du safran dans la région.

Changer d’échelle - “ce sont les citoyens qui portent la monnaie, pas les sociétés”-. Éviter localement d’enrichir les intermédiaires. Remettre le citoyen au coeur des débats. Créer une micro-économie sociale. Les objectifs sont immenses. Mais réalisables. Quid de l’avenir ? Proposer des outils numériques à l’image de l'EuskoPay, nouveau moyen de paiement de l’Eusko par smartphone. Pouvoir payer aussi ses taxes locales, ses factures d’énergie et recevoir son salaire comme le permet déjà la Livre de Bristol (“Our city, our money”).

Caroline PASTORELLI  (Journaliste) Publié le 25 juin 2020 sur le site frontpopulaire.fr

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