Le VIRUS provoque la DEBANDADE Européenne

Le Virus provoque la débandade européenne

C’était le 9 Mars, Ursula von der Leyen vantait, rayonnante, ses cents premiers jours à la tête de la Commission européenne. Le conseil européen de printemps s’apprêtait à plancher le 26 Mars sur le renforcement de la base économique de l’U.E., via le pacte vert et la digitalisation.

Trois semaines plus tard, Mme von der Leyen, devant un euro-parlement quasi-vide, constate avec effroi que le coronavirus a provoqué des réflexes « égoïstes » de la part de presque tous les Etats membres qui ont préféré garder leur parapluie pour eux plutôt que de le partager. Quant au conseil européen, il s’est résumé à une visioconférence-la troisième en deux semaines-  de six heures, toute entière consacrée à la gestion de la crise.

Entre temps, la pandémie dite du Covid -19, née en Chine fin 2019, s’est répandue sur la planète. Une situation qui confronte l’union européenne à une triple crise sans précédent : sanitaire, économique et sociale, mais aussi politique.

Sur le plan sanitaire, les milliers de décès ont tragiquement  révélé l’affaiblissement voire le délabrement du système de santé des Etats membres. L’Italie a d’emblée battu les tristes records de mortalité, suivie désormais par l’Espagne, deux pays qui se sont vus imposer suite à la crise de 2009 une politique austéritaire particulièrement sévère. En France, la suppression massive du nombre de lits d’hôpital depuis des décennies, combinée à la réduction délibérée du stock de masques et à la pénurie des tests, apparait comme une cause majeure du chaos actuel.

Mais à Bruxelles, on a préféré stigmatiser le chacun pour soi des Etats membres. Quinze pays ont peu ou prou restreint leurs frontières dites « intérieures » violant ainsi les règles de l’espace Schengen. Le ministre lituanien des transports a même os é blasphémer : «  la libre circulation était la plus grande valeur, elle devient la plus grande menace » !

Pour tenter de faire la part du feu, la fermeture des frontières « extérieures » était annoncée le 17 mars pour trente jours. Six jours plutôt, Donald Trump avait interdit aux citoyens de l’U.E. de pénétrer aux Etats-Unis, suscitant alors une réaction courroucée des dirigeants européens.

Aussi dramatique qu’elle soit, la crise sanitaire sera jugulée.

Le désastre économique qui se profile s’apparente, lui, à un plongeon abyssal. On le compare déjà avec la grande dépression de 1929. Car c’est l’économie réelle qui est percutée, prise en étau entre chute de la demande et chute de l’offre puisque de nombreuses usines se mettent à l’arrêt, certains salariés sont malades, beaucoup d’autres en confinement. En France, les capacités productives ne tournent plus qu’à 25% et c’est à l’avenant dans les pays voisins. Ceux qui ont perdu ou risquent de perdre leur emploi se comptent potentiellement par millions si les faillites de PME se multiplient. Les précaires et travailleurs « ubérisés » sont en première ligne.

Dès lors, les Etats jouent les pompiers. Bercy promet par exemple 45 milliards d’euros pour financer le chômage partiel, prendre en charge les indépendants, accorder des délais de paiement des cotisations et impôts des sociétés. Il prévoit 300 millions pour garantir les emprunts des entreprises auprès  des banques qui, sinon, se seraient défaussées, ainsi que pour éviter que des groupes stratégiques soient rachetés par des prédateurs étrangers à la faveur de leur chute boursière. A Berlin, le plan de bataille, le plus gigantesque dans l’histoire du pays, dépasse les 1 000 milliards d’euros et lève la contrainte constitutionnelle d’équilibre budgétaire.

Dans un premier temps Bruxelles avait promis de réorienter certains fonds communautaires pour un montant de 7,5 milliards d’euros, somme portée à 25 puis 38 milliards.  Début Mars, le vice-président de la commission chargé de l’économie estimait encore que la « flexibilité » du pacte de stabilité suffisait. Très vite cependant, la commission doit changer son fusil d’épaule. Elle autorise les aides d’Etat aux entreprises (normalement interdites car faussant la sacrosainte concurrence). Le 23 mars, les ministres des vingt-sept mettent en œuvre la « clause dérogatoire générale », jamais utilisée, qui lève toutes les contraintes : les Etats sont autorisés à dépenser sans limite de déficit. Mais briser un tel tabou est loin de suffire. Pour sa part, la BCE (la banque centrale européenne) a dû s’y prendre à 2 fois. Sa présidente, Christine Lagarde, annonçait le 12 une baisse des taux déjà négatifs et des injections de liquidités(rachat d’actions publiques ou privés) pour 120 milliards mais laissait entendre que son mandat ne lui permettait pas d’éviter une crise financière à l’Italie. Après une dégringolade boursière, elle inverse rapidement cette déclaration et une semaine plus tard met 750 milliards sur la table. Cependant, ces sommes, censées dynamiser l’économie quand il y a une crise financière, n’aident pas vraiment les finances nationales. D’où la proposition du chef de gouvernement italien que l’U.E. émette des obligations communes appelées «  corona-bonds ». Lors du conseil du 26 mars, l’Allemagne et les Pays-Bas ont catégoriquement confirmé leur refus d‘une telle perspective car cela rendrait les dettes des pays les plus riches solidaires de celles des plus pauvres. L’hypothèse était initialement soutenue par neuf pays dont la France.

Une autre piste évoquée le 26 mars a été de mettre en branle le mécanisme européen de stabilité(MES) créé il y a 10 ans pour renflouer les pays ne pouvant plus emprunter sur les marchés. Le MES dispose de 410milliards d’euros, mais ne prête que sous condition de … plans d’austérité. Pas question a rétorqué le premier ministre italien soutenu par son collègue espagnol. Giuseppe Conte a menacé de rejeter la déclaration finale mais s’est finalement ravisé.

Les vieilles querelles entre Nord et Sud resurgissent donc comme il y a dix ans mais dans une situation de l’économie réelle bien pire. Les chefs d’Etat et de gouvernement ont dès lors renvoyé le dossier aux ministres des finances qui ont deux semaines pour s’accorder.

Dans ces conditions, plusieurs dirigeants européens envisagent désormais sérieusement une crise politique existentielle. Emmanuel Macron a confié que l’enjeu n’était rien d’autre que la « survie du projet européen ». Un thème qui angoisse désormais ouvertement la grande presse europhile.

Article publié dans le N° 94 du mensuel Ruptures (radicalement euro-critique) paru le 31 mars 2020.  (Abonnement en ligne sur le site ruptures-presse.fr)

 

×