Faut il avoir peur du protectionisme ?

Faut-il avoir peur du protectionnisme ?

Il fait figure d’épouvantail. Depuis près d’un demi-siècle le protectionnisme est considéré par nos dirigeants comme le mal incarné en économie. Leur détestation à son égard est inversement proportionnée aux vertus qu’ils attribuent au libre-échange

Pour les économistes et les journalistes bien-pensants, le seul mot de protectionnisme suscite une levée de boucliers. Le protectionnisme, c’est le mal. Pire même, le protectionnisme, c’est la guerre! Or, pour penser le réel de façon critique, il faut sortir de la métaphysique.

La France face à de futures difficultés économiques

Bien qu’ils soient encore provisoires, les chiffres dont nous disposons déjà sont catastrophiques. Le PIB devrait chuter d’au moins 11,4% (dernier chiffre communiqué par le gouvernement). Le déficit public, lesté par les plans de soutien aux entreprises et le financement du chômage partiel, devrait atteindre au bas mot 9% du PIB et sans doute plus. La dette souveraine de la France, qui avoisinait les 100% du PIB à la veille de la crise du Covid -19, atteindra 120% à la fin de l’année. Le chômage grimpera au-dessus de la barre des 12% de la population active.

La plupart de ce qui reste des fleurons de l’économie française sont (excepté le luxe) sous perfusion de l’aide publique : l’aéronautique, l’automobile, le ferroviaire ou le tourisme. L’écart avec l’Allemagne qui était déjà très marqué avant cette crise n’a cessé de se creuser depuis. Juste un exemple : la part de la dette souveraine de l’Allemagne passera fin 2020 de 60 à 72% du PIB tandis que celle de la France s’envolera aux environs de 120%. Autrement dit, l’écart entre le pourcentage de la dette publique de l’Allemagne et celle de la France qui était de 32 points de PIB avant la crise sanitaire sera de près de 50 points à la fin de cette année.

Pour l’heure, la France tente de surmonter la crise en s’endettant sur les marchés financiers. L’opération semble à court terme indolore car les taux d’intérêt demeurent très bas. La Banque Centrale Européenne y veille en pratiquant sa politique de Quantitative Easing. Mais que se passera-il demain si les taux d’intérêt venaient à remonter. Pour l’instant, personne n’y songe. Le court-terme continue plus que jamais à guider notre politique économique.

Faut-il avoir peur du protectionnisme ?

Les partisans du libre-échange mondialiste soutiennent que refermer nos frontières conduirait notre pays à la catastrophe parce que sa compétitivité repose d’une part, sur le tourisme et d’autre part, sur les ventes réalisées dans le monde par nos grands groupes. Cette analyse est fallacieuse car ce n’est pas parce que la France décidera, de façon sélective, de protéger certains secteurs d’activité stratégiques que les touristes étrangers bouderont notre pays et que les grands groupes français ne trouveront plus de clients dans le monde. C’est oublier aussi les leçons de notre histoire. Au cours des crises du passé, depuis la fin du 19èmesiècle, la France a eu recours au protectionnisme afin de protéger son économie et elle ne s’en est pas si mal portée. Elle a traversé les crises et les chocs extérieurs en conservant, sur la longue durée, sa place de quatrième puissance économique et commerciale mondiale derrière les trois grands qu’étaient les Etats-Unis, l’Allemagne et le Royaume-Uni.

En agitant l’épouvantail du protectionnisme, les libre-échangistes mondialistes confondent le protectionnisme et l’autarcie. Or il s’agit de deux choses différentes. Le protectionnisme est un outil de politique économique dont dispose un Etat souverain et qui lui sert à réguler ses échanges extérieurs avec le reste du monde. Lorsqu’un pays s’engage dans cette voie il ne cherche pas à couper les ponts avec le monde extérieur mais à les réajuster. En règle générale, ce pays déploie une intense activité diplomatique et s’efforce de conclure des accords de commerce bilatéraux. C’est ce que fit la France de Jules Méline après 1892, celle des années vingt ou bien encore celle des années trente. Le seul bémol, ce fut après l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933. La France se retrouva isolée entre le Royaume-Uni qui se replia sur son empire colonial et l’Allemagne nazie qui fit basculer dans son camp l’Italie de Mussolini et la plupart des pays d’Europe Centrale, Pologne exceptée. Au contraire, l’autarcie est la stratégie d’un pays qui se replie sur lui-même afin de préparer des guerres d’agression comme le firent dans les années trente l’Allemagne nazie, l’Italie de Mussolini ou le Japon des militaires.

Le protectionnisme est aujourd’hui une nécessité pour enrayer le déclin de la France

Alors que les principaux fleurons de l’industrie française se retrouvent sous assistance respiratoire, comment notre pays peut-il espérer tirer son épingle du jeu dans la guerre économique d’une extrême brutalité qui s’annonce entre les Etats-Unis, la Chine, l’Inde ou la Russie ? Tous ces pays ont déjà recours au protectionnisme afin de défendre leurs intérêts nationaux. Ne pas le voir comme les technocrates de Bruxelles, c’est s’aveugler sur la réalité du monde qui vient. C’est aussi préparer les défaites économiques de demain. Le logiciel libre-échangiste tourne désormais à vide. La France se trouve à la croisée des chemins. Soit elle continue dans la voie actuelle, libre-échangiste et mondialiste, et son déclin (au demeurant déjà bien amorcé) sera aussi rapide qu’assuré. Soit elle choisit la voie du redressement et celui-ci passera nécessairement par le recours au protectionnisme.

La France renouera ainsi avec une longue tradition, celle de son développement en économie protégée qu’elle a suivi de 1873 à 1974, moment où elle a basculé dans le libre-échange mondialiste. Ce modèle reposait sur trois éléments clés : la présence de l’Etat aux frontières, la recherche d’un développement équilibré entre agriculture et industrie, entre marché intérieur et commerce extérieur et la mise en place d’un réseau de relations économiques extérieures protégées avec des Etats et des zones géographiques privilégiées.

Yves PEREZ (Économiste)  article publié le 25 juin 2020 sur le site frontpopulaire.fr

 

×