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CONSEIL CONSTITUTIONNEL et AUTONOMIE en NOUVELLE-CALEDONIE

Nicolas CLINCHAMPS - Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 35 (Dossier : La Constitution et l’outre-mer) - avril 2012

Maître de conférences de droit public, CERAP Université de Paris 13 - Nord

 

La Nouvelle-Calédonie occupe une place à part dans et vis-à-vis de la Constitution. Le titre XIII C portant "dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie" marque une étape nouvelle de l'autonomie de l'archipel. Préférant repousser l'autodétermination programmée entre le 1er mars et le 31 décembre 1998 par la loi référendaire (LR) du 9 novembre 1988 (2), les principales forces politiques locales ont fait le choix de l'approfondissement de l'autonomie. Elles en ont dessiné les contours dans l'accord de Nouméa du 5 mai 1998 (3). Les choix politiques qu'il contient ont été constitutionnalisés permettant de résoudre toute difficulté relative à leur conformité à la Constitution.

Cependant, ni l'accord de Nouméa (4), ni la Constitution, ni la loi organique (LO) du 19 mars 1999 (5) ne mentionnent l'autonomie de la Nouvelle-Calédonie. Ils ne la définissent donc pas davantage. La doctrine délimite le concept par la méthode du faisceau d'indices (6) ou encore la détermination matérielle des compétences (7). La pratique prend essentiellement les deux formes de l'autonomie de gestion ou de décision. La situation de la Nouvelle-Calédonie correspond aujourd'hui à la seconde, dans la mesure où ses élus votent des textes en vertu d'une compétence locale et destinés à s'appliquer en Nouvelle-Calédonie. À ce stade, il n'y a pas de différence fondamentale avec les collectivités territoriales du titre XII C.

La Nouvelle-Calédonie se démarque par la dimension politique de son autonomie en raison du lien particulier qu'elle entretient avec la Métropole. Maîtresse de son statut, elle l'est également des textes dont elle se dote par le vote de lois du pays (LP) dont le contrôle est confié au Conseil constitutionnel, à la manière d'un juge fédéral. Aucune comparaison n'est donc possible avec le caractère purement administratif de l'autonomie des collectivités territoriales du titre XII C. Ainsi, le Conseil constitutionnel rappelle-t-il dans une récente décision que le régime électoral applicable aux institutions de la Nouvelle-Calédonie est défini par une LO en vertu de l'article 77 C, alors que celui des collectivités d'outre-mer l'est par une LO en application de l'article 74, al. 3 C (8).

La démarche de l'accord de Nouméa a eu le mérite de donner la parole aux Calédoniens. Cela est nécessaire et, n'ayons pas peur des mots, quasi-suffisant, au vu, notamment, de l'éloignement et du faible intérêt que peut susciter la Nouvelle-Calédonie - et l'outre-mer - en Métropole (9). Se pose, dans ce contexte, la question du rôle que peut jouer le Conseil constitutionnel face à l'autonomie de la Nouvelle-Calédonie. S'il en est assurément acteur, il n'en demeure pas moins spectateur à certains égards.

I. Le Conseil constitutionnel acteur de l'autonomie de la Nouvelle-Calédonie

L'attitude du Conseil constitutionnel sur les dimensions statutaire et normative de l'autonomie de la Nouvelle-Calédonie est prudente, voire troublante. Semblant hésiter sur la nature de l'archipel, il s'en tient au minimum quant à la valeur des LP.

A : Les hésitations sur la nature de la Nouvelle-Calédonie

L'attitude du Conseil constitutionnel vis-à-vis de la nature de la Nouvelle-Calédonie - collectivité territoriale ou non ? - semble hésitante. Cela vient d'abord des ambiguïtés constitutionnelles. En faisant de l'accord de Nouméa une partie intégrante de la Constitution, l'intention du pouvoir constituant paraît pourtant claire a priori. Il s'agit d'abord d'accorder à ce territoire - ce pays - un statut qui lui est propre, à tel point que le titre XIII C peut être vu comme une autre Constitution accueillie au sein de la Constitution «à la façon des poupées russes» (10) ou encore une «Constitution-bis» (11). Symbole de son autonomie politique, l'existence d'un titre spécifique à la Nouvelle-Calédonie au sein de la Constitution en fait apparemment une entité sui generis.

Cependant, la Constitution fait référence, à plusieurs reprises, à la Nouvelle-Calédonie dans le titre XII C. En vertu de l'article 72-3, al. 3 C, « Le statut de la Nouvelle-Calédonie est régi par le titre XIII ». Cette disposition est sujette à deux interprétations. Elle peut signifier, d'une part, que, certes spécifique, la Nouvelle-Calédonie n'en est pas moins une collectivité territoriale. À cela s'ajoute l'article 74-1, al. 1 C qui étend expressément à la Nouvelle-Calédonie le champ d'application des ordonnances prises par le Gouvernement à l'égard des collectivités d'outre-mer de l'article 74 C en vertu d'une habilitation constitutionnelle permanente. D'autre part, l'alinéa qui lui est spécialement consacré à l'article 72-3 C peut signifier aussi que, dans l'espace ultramarin, la Nouvelle-Calédonie se démarque et ne peut être qualifiée de collectivité territoriale, en dépit de dispositions constitutionnelles qui leur sont communes.

La jurisprudence du Conseil constitutionnel rend compte de ses hésitations. Aux décisions penchant en faveur de la reconnaissance d'une nature sui generis ont succédé celles pouvant conduire à faire de la Nouvelle-Calédonie une collectivité territoriale.

Deux décisions rendues en 2003 et 2004 laissent penser que le Conseil constitutionnel se range du côté d'une spécificité plaçant la Nouvelle-Calédonie hors de la sphère des collectivités territoriales. Rappelant, dans la première, le renvoi de l'article 72-3, al. 3 C au titre XIII C, il considère que "la loi organique [relative au référendum local], prise sur le fondement de l'article 72-1 de la Constitution, s'applique à toutes les collectivités territoriales régies par le titre XII de la Constitution" (12). Cela signifierait a contrario que la Nouvelle-Calédonie en serait exclue. Dans une seconde décision portant sur la LO relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales, il souligne que l'extension, par le législateur organique, des dispositions du titre XII C à la Nouvelle-Calédonie ne peut intervenir qu'en application de l'article 77 C à la double condition du respect des orientations de l'accord de Nouméa et de la formulation de l'avis de l'assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie, à savoir le congrès. Faute d'avis, le Conseil constitutionnel conclut que la LO ne s'applique pas aux provinces de la Nouvelle-Calédonie (13). Cela semble aller dans le sens de l'exclusion de principe de la Nouvelle-Calédonie du titre XII C, sauf dispositions expresses. En revanche, les provinces (14) et les communes (15) sont des collectivités territoriales de la République, conformément à l'article 3 de la LO de 1999. Précisant que celles-ci "s'administrent librement par des assemblées élues au suffrage universel direct", la LO confirme leur dimension administrative au même titre que les collectivités territoriales de Métropole et d'outre-mer. Une distinction doit toutefois être faite entre les communes de Nouvelle-Calédonie qui se rattachent à celles de Métropole et les provinces qui, par leurs spécificités, sont des collectivités territoriales d'outre-mer. Il y a donc, en ce sens, trois types de collectivités calédoniennes. Aux deux dernières citées, s'ajoute la Nouvelle-Calédonie, collectivité sui generis.

Cette appellation se justifie non seulement par la place particulière occupée par le titre XIII C, mais aussi par l'autonomie qui, en Nouvelle-Calédonie, est de nature politique. Le Conseil constitutionnel considère "qu'eu égard aux attributions conférées aux institutions des collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 et à celles de la Nouvelle-Calédonie, dont le rôle ne se limite pas à la simple administration de ces collectivités, le législateur pouvait prévoir un régime d'incompatibilité plus strict que celui qui s'applique aux mandats électifs des autres collectivités territoriales" (16). Il s'agit là d'une différence essentielle car l'autonomie dont peuvent bénéficier les autres collectivités territoriales d'outre-mer demeure administrative. Cela se constate aisément pour les DOM-ROM dont le statut s'aligne peu ou prou sur celui des départements et régions de Métropole, mais aussi pour les collectivités d'outre-mer de l'article 74 C. La Polynésie française, qui est la plus autonome de celles-ci, n'en appartient pas moins à la famille des collectivités territoriales régie par le titre XII C. Juridiquement, elle s'administre, en vertu du principe directeur posé par l'article 72 C, et ses décisions - dont certaines sont désignées LP - font l'objet d'un contrôle de légalité devant le juge administratif. Son autonomie ne peut être considérée comme politique que sur le plan matériel en raison de l'existence de ressemblances avec le droit constitutionnel (17). Les particularités propres à la Nouvelle-Calédonie conduisent donc à penser qu'elle ne saurait être une collectivité territoriale au sens du titre XII C. Le Conseil d'État rappelle, comme le Conseil constitutionnel, qu'elle "n'est pas régie par le titre XII de la Constitution relatif aux collectivités territoriales de la République mais par son titre XIII, qui lui est spécifiquement consacré". Prenant soin toutefois d'observer que la LO de 1999 "ne la qualifie pas de collectivité territoriale", il se montre plus ferme à cet égard (18).

Deux autres décisions du Conseil constitutionnel semblent en revanche prendre le parti du rattachement de la Nouvelle-Calédonie aux collectivités territoriales (19). À propos de la LO portant sur l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie et sur la départementalisation de Mayotte, le Conseil constitutionnel s'attache à préciser, à propos des dispositions concernant la Nouvelle-Calédonie, que le projet de LO a été "déposé en premier lieu sur le bureau du Sénat" (20). Il le réitère vis-à-vis de Mayotte (21). Si l'article 39, al. 2 C énonce que "les projets de loi ayant pour principal objet l'organisation des collectivités territoriales sont soumis en premier lieu au Sénat", il n'en est fait aucune référence expresse de la part du Conseil constitutionnel. La jonction de dispositions relatives à la Nouvelle-Calédonie et à Mayotte au sein d'une même LO pourrait conduire à penser que cette procédure législative spécialement destinée aux lois visant à titre principal les collectivités territoriales a été respectée d'abord en référence à Mayotte. Ce constat concernant les titres de la LO portant sur la Nouvelle-Calédonie pose à nouveau la question de sa nature sans que le Conseil constitutionnel n'y réponde précisément. Dans sa décision du 12 juillet 2011 qui, elle, concerne exclusivement la Nouvelle-Calédonie, il constate encore que le projet de LO modifiant l'article 121 de celle de 1999 a été «"déposé en premier lieu sur le bureau du Sénat"(22), sans davantage de référence à l'article 39, al. 2 C. Ce laconisme se retrouve d'ailleurs dans le rapport du Sénat (23). Au demeurant, rien n'interdit au Gouvernement de déposer tout projet de loi (ordinaire ou organique) en premier lieu sur le bureau du Sénat. Ce choix systématique de la part du législateur à propos de la Nouvelle-Calédonie (24) cultive l'ambiguïté dont le Conseil constitutionnel se fait le relais. Cela prend à contre-pied le raisonnement selon lequel "si la Nouvelle-Calédonie n'est pas regardée comme une collectivité territoriale, un projet de loi organique ou ordinaire relatif à son organisation pourrait donc être déposé en premier lieu sur le bureau de l'Assemblée nationale" (25). Le commentaire publié sur le site Internet du Conseil constitutionnel en atteste plus clairement encore : "le projet de loi étant relatif à la composition du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie avait trait à l'organisation de cette collectivité. Il devait donc être soumis, comme il l'a été, en premier lieu au Sénat" (26). Cela conduit à conclure qu'aux yeux du Conseil constitutionnel la Nouvelle-Calédonie serait finalement une collectivité territoriale.

 

 

B : La prudence à l'égard des lois du pays

Le Conseil constitutionnel reprend les termes de l'article 107, al. 1 de la LO de 1999 : "les lois du pays ont force de loi dans le domaine défini à l'article 99" et constate qu'elles sont des "délibérations du congrès ayant force de loi" (27). Cela valide l'idée selon laquelle les LP occupent une place parallèle à celle des lois nationales dans la hiérarchie des normes. Il s'agit d'une caractéristique conforme à l'esprit de l'accord de Nouméa. Certes, mais comment peut-elle être juridiquement reconnue ? Le Conseil constitutionnel ne peut la justifier par référence à une architecture normative qui est absente de la Constitution. Juge expressément désigné par l'accord de Nouméa et l'article 77 C, il ne peut se référer qu'au contrôle et à sa propre compétence. C'est donc ici la nature du contrôle qui justifie la nature de la norme. Soulignant que l'article 107, al. 1 "définit la nature juridique des «lois du pays»" (28), il insiste sur la dualité qui permet au Conseil d'État de constater "qu'une disposition de «loi du pays» est intervenue en dehors des matières mentionnées à l'article 99", précisant "qu'en pareil cas, la légalité de cette disposition pourra être critiquée devant la juridiction administrative compétente". Peu importe que les dispositions en question empiètent sur le champ d'application de l'article 34 C : "les lois qui, postérieurement à l'entrée en vigueur de la Constitution, ont donné compétence aux assemblées territoriales pour réglementer dans les matières visées à l'article 34 de la Constitution, dérogent à cet article" (29). Tout en les qualifiant de "lois" (30), le Conseil constitutionnel n'affirme pas expressément que celles du pays sont de même nature que celles de la nation, mais il leur reconnaît implicitement une valeur législative.

Cela n'a pas empêché une partie de la doctrine d'y voir une faille. Une vision purement administrative de l'échelon local peut en effet conduire à estimer que la LP demeure une sorte de règlement. La compétence du Conseil constitutionnel n'étant pas un critère de détermination de la valeur normative, la LP est alors qualifiée de "règlement autonome ni administratif, ni législatif" (31), voire d'acte administratif (32). Cette dimension administrative serait confortée par l'implication de l'État. L'avis obligatoire du Conseil d'État (33), le pouvoir du haut-commissaire de la République (HCR) de demander une nouvelle délibération du congrès (34) et de saisir le Conseil constitutionnel (35) font de l'État une pièce maîtresse du contrôle des LP. La promulgation confiée au HCR (36) signifie également que seul l'État peut rendre exécutoire une LP.

Ces arguments ne paraissent pourtant pas suffisants pour remettre en cause la valeur législative des LP. Tout d'abord, ils ne changent rien à l'architecture normative dans laquelle sont placées les LP. Ensuite, le rôle joué par l'État n'a pas de conséquence directe sur la nature de la norme. Les avis rendus, en vertu de l'article 39 C, par le Conseil d'État sur les projets - et éventuellement sur les propositions - de lois nationales ne leur ôtent par leur valeur législative. Par ailleurs, l'article 107, al. 3 de la LO de 1999 énonce que "les dispositions d'une loi du pays intervenues en dehors du domaine défini à l'article 99 ont un caractère réglementaire". Cela signifie donc a contrario que les dispositions de LP intervenant dans le domaine de l'article 99 ont une nature législative. Enfin, l'introduction en 2009 (37) de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au titre du contrôle de la LP par le Conseil constitutionnel ne peut que renforcer ce caractère.

 

II. Le Conseil constitutionnel spectateur de l'autonomie de la Nouvelle-Calédonie

Le contrôle de constitutionnalité est soumis à la double contrainte de la saisine et de la compétence du Conseil constitutionnel. Un phénomène de contournement, constitutionnel et procédural, le cantonne au rang de spectateur de l'autonomie de la Nouvelle-Calédonie.

A : Le contournement constitutionnel

L'autonomie de la Nouvelle-Calédonie s'impose juridiquement par le haut. Les risques de censure du Conseil constitutionnel sont écartés en révisant la Constitution. Les attentes des principales forces politiques indépendantistes et loyalistes, lors des négociations de l'accord de Nouméa, portaient sur des dispositions manifestement contraires à la Constitution concernant la préférence locale en matière d'emploi et la restriction du corps électoral dans le cadre des élections provinciales.

Le pouvoir constituant a dû s'y prendre à plusieurs reprises pour mettre la restriction du corps électoral à l'abri de la censure du juge. Appelée des vœux des formations indépendantistes, cette restriction fut inscrite dans les accords de Matignon du 26 juin 1988 (38) sans être honorée par la LR (39) en raison de la contradiction avec le principe à valeur constitutionnelle d'égalité du suffrage posé par l'article 3 C.

Dix ans plus tard, le contexte a évolué. Au cœur de l'accord de Nouméa, le «destin commun» signifie qu'il est désormais possible de construire une plus grande autonomie qui ne viserait plus à séparer, mais à unir les ethnies. Dès lors, la prise en main de leur avenir par les Calédoniens s'impose à la France. Et le Conseil constitutionnel ne peut y faire obstacle.

Le préambule de l'accord de Nouméa énonce que «le corps électoral pour les élections aux assemblées locales propres à la Nouvelle-Calédonie sera restreint aux personnes établies depuis une certaine durée» (40). Les modalités formulées par le document d'orientation se réfèrent, notamment, aux électeurs inscrits au tableau annexe remplissant «une condition de domicile de dix ans à la date de l'élection» (41). S'est immédiatement posée la question du caractère glissant ou figé du corps électoral. La seconde formule se serait imposée lors des négociations précédant le vote de la LO de 1999. Bien que la doctrine ne soit pas unanime sur la question (42), les rapports parlementaires semblent suivre cette orientation. Pour René Dosière, «il est clair qu'il s'agit du tableau qui a été constitué en vue de la consultation référendaire de 1998» (43). Jean-Jacques Hyest estime, quant à lui, que «l'intention sous-jacente à l'accord de Nouméa n'est pas d'instaurer un corps électoral glissant... » (44). Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'État à l'outre-mer, le confirme devant le Sénat lors de la séance du 16 février 1999 (45).

L'article 189 de la LO de 1999 s'appuyait sur un tableau annexe "vivant" (46) des électeurs non admis à participer au scrutin. Le Conseil constitutionnel se livra à une interprétation stricte considérant "qu'il ressort des dispositions combinées des articles 188 et 189 que doivent notamment participer à l'élection des assemblées de province et du congrès les personnes qui, à la date de l'élection, figurent au tableau annexe mentionné au I de l'article 189 et sont domiciliées depuis dix ans en Nouvelle-Calédonie, quelle que soit la date de leur établissement en Nouvelle-Calédonie, même postérieure au 8 novembre 1998". Il s'agissait, pour le Conseil constitutionnel, de la seule définition "conforme à la volonté du pouvoir constituant, éclairée par les travaux parlementaires dont est issu l'article 77 de la Constitution". La question du gel ou non du corps électoral constituera par la suite une pierre d'achoppement opposant les camps loyalistes, favorables au corps électoral glissant, et indépendantistes demandant son gel. Faute de consensus (47), la France fit le choix de la seconde formule. Après une première tentative en 1999 (48), seule la révision de l'article 77 C, le 23 février 2007 (49), permit d'imposer le gel du corps électoral et d'écarter l'interprétation du Conseil constitutionnel. Il s'agissait ici d'accéder à une demande des indépendantistes en contournant le Conseil constitutionnel par l'usage du pouvoir constituant.

Sur le plan juridique, s'applique ici le principe selon lequel « le pouvoir constituant est souverain » (50). Cela signifie « qu'il lui est loisible d'abroger, de modifier ou de compléter des dispositions de valeur constitutionnelle dans la forme qu'il estime appropriée ». Pour le Conseil constitutionnel, rien ne s'oppose donc à ce que le pouvoir constituant « introduise dans le texte de la Constitution des dispositions nouvelles qui, dans le cas qu'elles visent, dérogent à une règle ou à un principe de valeur constitutionnelle ; que cette dérogation peut être aussi bien expresse qu'implicite ». La décision du 15 mars 1999 le confirme tout en précisant les restrictions liées au respect des principes inscrits aux articles 7, 16 et 89 C (51) qui, au demeurant, n'expriment ici que l'autolimitation du pouvoir constituant.

Sur le plan politique, l'objectif est clair. Tout est fait pour se conformer à la volonté des Calédoniens et, dans certains cas, des indépendantistes. C'est elle qui s'impose à la France et non l'inverse. Le Conseil constitutionnel qui n'est, selon l'expression du doyen Vedel, qu'un « aiguilleur » (52) se trouve donc bien placé en position de spectateur de certains aspects de l'autonomie de la Nouvelle-Calédonie.

B : Le contournement procédural

Les LP font l'objet d'un contrôle de constitutionnalité exercé par le Conseil constitutionnel. Il s'agit d'une volonté exprimée initialement par l'accord de Nouméa : "certaines délibérations du congrès auront le caractère de loi du pays et de ce fait ne pourront être contestées que devant le Conseil constitutionnel avant leur publication..." (53). L'article 77, al. 1 C rappelle que "les conditions dans lesquelles certaines catégories d'actes de l'assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie pourront être soumises avant publication au contrôle du Conseil constitutionnel" sont déterminées par une LO.

Le contrôle a priori par voie d'action mis en œuvre par la LO de 1999 est inspiré du modèle national. Cependant, le texte multiplie les obstacles à la saisine du Conseil constitutionnel. D'abord, la procédure législative calédonienne prévoit un contrôle préalable en imposant l'avis du Conseil d'État avant la délibération des projets de LP par le gouvernement de Nouvelle-Calédonie et avant la première lecture des propositions de LP au congrès (54). Cet avis s'apparente au fond à un premier contrôle de constitutionnalité (55). Il porte également sur le respect des LO, notamment celle de 1999. Le Conseil d'État peut se livrer, le cas échéant, au contrôle de conventionalité (56) à cette occasion. Suivant, dans la plupart des cas, l'avis du Conseil d'État, le congrès protège une première fois la LP du contrôle du Conseil constitutionnel. Ensuite, ce contrôle n'est envisageable qu'après une seconde délibération du congrès pouvant être demandée par le HCR, le gouvernement, le président du congrès, le président d'une assemblée de province ou onze membres du congrès (57). Ce n'est qu'à l'issue de celle-ci que le Conseil constitutionnel peut enfin être saisi par les mêmes autorités (58).

Les contraintes liées à la définition des autorités pouvant saisir le Conseil constitutionnel parachèvent le phénomène de contournement procédural. D'une part, l'abstention du HCR traduit une extrême prudence préjudiciable au contrôle du juge. D'autre part, la saisine par le congrès, fixée à dix-huit de ses membres, apparait trop restrictive à l'usage. Morcelée par la représentation proportionnelle, sa configuration politique entrave la formation d'une opposition susceptible de déférer une LP au Conseil constitutionnel. Avec deux LP contrôlées, sur saisine du Président de la province des Îles Loyautés, puis du congrès, depuis l'entrée en vigueur de la LO de 1999, le bilan est maigre. Sur le fond, les deux décisions ne sont guère porteuses d'enseignement. La première rejette un recours formulé sur des questions de procédures (59). Saisi par seulement quinze membres du congrès, le Conseil constitutionnel considère, dans la seconde décision, que le recours n'est pas recevable (60).

La QPC pourrait offrir au Conseil constitutionnel les moyens de son contrôle. Posée a posteriori, elle fait tomber les remparts qui protègent la LP de la saisine du juge dans le cadre du contrôle a priori par voie d'action. Cette « démocratisation » (61) du contrôle peut conduire, le cas échéant, à censurer des dispositions inconstitutionnelles d'une LP promulguée. En effet, la Constitution ne prévoit, fort logiquement, aucune dérogation, concernant les LP, à l'application de l'article 62, al. 2 C : "une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision". Ouverte à "tout justiciable" (62), cette faculté l'est a fortiori à ceux de Nouvelle-Calédonie.

Au-delà, de cette avancée juridictionnelle, l'introduction de la QPC constitue un nouveau marqueur de l'autonomie politique de la Nouvelle-Calédonie. Il se manifeste par le parallélisme. À la transposition opérée par la LO de 2009 s'ajoute, dans l'ordonnance organique du 7 novembre 1958 (63) modifiée, deux dispositions visant la Nouvelle-Calédonie. La première, prévoyant la publication de la décision du Conseil constitutionnel, le cas échéant, au Journal officiel de la Nouvelle-Calédonie (64), n'appelle pas de commentaire particulier. La seconde, en revanche, mérite d'y prêter attention. Elle porte sur l'information des autorités qui sont immédiatement avisées par le Conseil constitutionnel des QPC dont il est saisi (65). Cela concerne, en premier lieu, les plus hautes autorités de l'État - le Président de la République, le Premier ministre et les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat - qui peuvent adresser en retour leurs observations au Conseil constitutionnel. Un second alinéa étend cette procédure aux autorités calédoniennes - le président du Gouvernement, le président du congrès et les présidents des assemblées de province - qui, en revanche, ne peuvent formuler aucune observation. Mise à part cette différence, la transmission de l'information aux détenteurs du pouvoir législatif calédonien se justifie, certes, par le bon sens, mais elle montre aussi un parallélisme des formes qui renforce la dimension politique de l'autonomie de la Nouvelle-Calédonie.

 

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