DISCOURS HENRY KISSINGER

Discours de Henry Kissinger (New York, 23 avril 1973) sur l’année de l’Europe.

 

Le 23 avril 1973, lors du déjeuner annuel de l'Associated Press à New York, Henry Kissinger, conseiller pour les affaires de sécurité nationale auprès du président américain Richard Nixon, prononce un discours qui met en lumière l'évolution des relations euro-américaines.

 

1973 est l'année de l'Europe parce que l'ère façonnée par les décisions prises il y a une génération arrive à son terme. Le succès de cette politique a donné naissance à des réalisations nouvelles qui exigent de nouvelles approches :

- le rétablissement de l'Europe occidentale est un fait établi, tout comme le succès historique de sa marche vers l'unification économique;

- l'équilibre militaire stratégique est-ouest s'est modifié, passant d'une prépondérance américaine à une quasi-égalité, et nécessitant une nouvelle compréhension des besoins de notre sécurité commune;

- d'autres régions du monde ont acquis une importance nouvelle, le Japon est devenu un centre de puissance majeur. Dans de nombreux domaines, les solutions "atlantiques", pour être viables, doivent comprendre le Japon;

- nous connaissons actuellement une période de relâchement des tensions. Mais, à mesure que s'atténuent les rigides divisions de ces vingt dernières années, nous assistons à de nouvelles assertions d'identité et de rivalités nationales;

- des problèmes, imprévisibles il y a une génération, ont surgi et exigent de nouveaux modes d'action et de coopération. L'approvisionnement en énergie des nations industrialisées en est un exemple.

Ces facteurs ont donné lieu à une transformation spectaculaire du climat psychologique régnant à l'Ouest; changement qui constitue le défi le plus sérieux auquel doive faire face actuellement la politique occidentale.

En Europe, une génération nouvelle, dont l'expérience personnelle ne comprend pas la guerre et les perturbations qu'elle apporte, accepte la stabilité comme une chose allant de soi. Mais elle est moins attachée à l'unité qui a permis à la paix de s'instaurer et à l'effort requis pour la maintenir. Aux Etats-Unis se manifeste une répugnance à maintenir un engagement à l'échelle du globe sur la base d'une prépondérance de la responsabilité américaine, répugnance nourrie par des décennies de fardeaux mondiaux assumés par le pays et accentuée par les frustrations découlant de la guerre en Asie du Sud-Est.

 

Il est inévitable que cette période de transition donne lieu à des tensions. Des voix se sont élevées en

Amérique pour se plaindre de ce que l'Europe ignore ses responsabilités plus larges en poursuivant trop unilatéralement ses intérêts économiques propres et qu'elle ne supporte pas une part équitable du fardeau de la défense commune. On s'est plaint, du côté européen, de ce que l'Amérique ait, semble-t-il, décidé de diviser l'Europe sur le plan économique, ou de l'abandonner sur le plan militaire, ou encore de la négliger sur le plan diplomatique. Les Européens font appel aux Etats-Unis afin qu'ils acceptent leur indépendance et leurs critiques, parfois sévères, vers les Etats-Unis au nom de l'unité atlantique, en demandant en même temps qu'on leur accorde un droit de véto sur nos politiques indépendantes, toujours au nom de l'unité atlantique.

 

Le problème qui se pose est le suivant : une unité forgée par une perception commune du danger peut-elle tirer une vigueur nouvelle d'aspirations positives partagées?

 

Si nous permettons que le partnership atlantique s'atrophie, ou soit détruit par la négligence, l'indifférence ou la méfiance, nous risquons de perdre ce qui a été réalisé, et nous raterons notre chance historique d'obtenir des résultats encore plus grands.

 

Dans les années 1940 et 1950, la tâche qui s'imposait à nous portait sur la reconstruction économique et le maintien de notre sécurité contre tout danger d'attaque. L'Occident y a fait face avec courage et ingéniosité.

Aujourd'hui, il nous faut faire de l'Alliance Atlantique une force aussi dynamique en vue de l'édification d'une nouvelle structure de paix, moins tributaire des crises et plus consciente des possibilités qui s'offrent, tirant son inspiration de ses objectifs plutôt que de ses craintes. Les pays atlantiques doivent entreprendre ensemble un acte créateur, analogue à celui qui a été entrepris par la génération de leaders européens et américains de l'après-guerre.

 

C'est pourquoi le Président a adopté une attitude personnelle et directe à l'égard des dirigeants de l'Europe occidentale. Dans ses discussions avec les chefs du gouvernement de Grande-Bretagne, d'Italie, de

République Fédérale d'Allemagne et de France, le secrétaire général de l'OTAN et d'autres leaders européens, le président a l'intention de jeter les bases d'une ère nouvelle de créativité occidentale.

 

Sa méthode consistera à traiter les problèmes atlantiques dans leur ensemble. Les questions politiques, militaires et économiques qui affectent les relations atlantiques sont liées entre elles par les réalités du monde d'aujourd'hui, et non du fait d'un choix de notre part ou dans le but tactique d'obtenir un avantage en échange d'une concession. Les solutions ne seront pas à la hauteur des possibilités d'action si on les laisse aux techniciens. Elles doivent être traitées au niveau le plus élevé. En 1972, le président a procédé à une transformation de nos relations avec nos adversaires, afin d'alléger le fardeau de peur et de suspicion qui pesait sur le monde.

 

En 1973, nous pourrons ressentir le même sentiment de réussite d'une ampleur historique en donnant une vie nouvelle aux idéaux et aux buts que nous partageons avec nos amis. Les Etats-Unis proposent à leurs partenaires atlantiques qu'au moment où le président se rendra en Europe, vers la fin de cette année, nous ayons mis au point un nouveau projet de Charte Atlantique définissant nos objectifs pour l'avenir, projet qui :

- prenne pour base le passé sans en devenir le prisonnier,

- s'occupe des problèmes créés par notre succès,

- crée, entre les nations atlantiques, de nouveaux rapports aux progrès desquels puisse participer le Japon.

Nous demandons à nos amis en Europe, au Canada et ultérieurement au Japon, de se joindre à nous dans cet effort.

 

C'est là ce que nous voulons dire quand nous parlons de l'année de l'Europe.

Les problèmes atlantiques

Les problèmes que posent les relations atlantiques sont réels. Ils sont nés en partie parce qu'au cours des années 1950 et 1960 la Communauté Atlantique s'est organisée de nombreuses façons différentes, dans les nombreux domaines divers de son entreprise commune.

Dans le secteur des relations économiques, la Communauté européenne a accentué de plus en plus sa personnalité régionale; parallèlement, les Etats-Unis doivent agir en tant qu'élément d'un système international commercial et monétaire plus large et en être responsables.

Dans le secteur de notre défense collective, notre organisation s'appuie encore sur le principe de l'unité et de l'intégration, mais dans des conditions stratégiques radicalement différentes. On n'a pas encore fait face à toutes les implications de ce changement.

La diplomatie fait l'objet de consultations fréquentes, mais est essentiellement menée par des Etats-nations traditionnels. Les Etats-Unis ont des intérêts et des responsabilités à l'échelle du monde. Nos alliés européens ont des intérêts régionaux. Les uns et les autres ne sont pas nécessairement en conflit, mais dans cette nouvelle ère, ils ne sont pas non plus automatiquement identiques.

En bref, dans le domaine de la défense, nous traitons entre nous sur un plan régional et même compétitif, sur une base intégrée. Dans le domaine de la diplomatie, nous nous comportons en tant qu'Etats-nations.

Lorsque les diverses institutions collectives étaient rudimentaires, les contradictions potentielles de leurs modes de fonctionnement ne constituaient pas un problème. Mais, après une génération d'évolution et étant donné le nouveau poids et la nouvelle force de nos alliés, les divers éléments de l'édifice ne sont pas toujours en harmonie et se gênent parfois les uns les autres.

Les nations atlantiques doivent trouver une solution pour coordonner leur diversité. Nous ne pouvons plus nous permettre de poursuivre un intérêt personnel national ou régional en dehors d'un cadre unificateur.

Nous ne pouvons-nous associer si chaque pays ou région affirme son autonomie chaque fois qu'elle y a intérêt et invoque l'unité pour restreindre l'indépendance des autres.

Nous devons établir un nouvel équilibre entre l'intérêt personnel et l'intérêt commun. Outre la sécurité, nous devons définir les intérêts et les valeurs positives afin d'obtenir une fois de plus l'engagement des peuples et des Parlements.

 

Aucun élément de la politique américaine d'après-guerre n'a été plus stable que notre soutien de l'unité européenne. Nous l'avons encouragée à tout moment. Nous savions qu'une Europe unie serait un partenaire plus indépendant. Mais nous estimions, d'une manière peut-être un peu optimiste, que nos intérêts communs seraient garantis par notre long passé de coopération. Nous nous attendions à ce que l'unité politique suive l'intégration économique et à ce qu'une Europe unifiée, qui oeuvrerait en coopération avec nous au sein d'une association atlantique, allège nombre de nos fardeaux internationaux.

 

Il est clair que beaucoup de ces espoirs ne se réalisent pas.

L'Europe et les Etats-Unis ont tiré profit de l'intégration économique européenne. Le développement du commerce à l'intérieur de l'Europe a stimulé la croissance des économies européennes et l'expansion des échanges commerciaux bilatéraux à travers l'Atlantique.

Mais nous ne pouvons ignorer le fait que le succès économique de l'Europe et sa transformation de l'état de bénéficiaire de notre aide à celui de concurrent vigoureux a causé un certain nombre de frictions. Les relations monétaires internationales ont connu des remous et ont été marquées par des sentiments de rivalité.

Dans le domaine du commerce, le poids économique naturel d'un marché de 250 millions de personnes a incité d'autres Etats à rechercher des arrangements spéciaux afin de protéger l'accès qu'ils ont à ce débouché.

La perspective d'un système commercial ferme englobant la Communauté européenne et un nombre croissant d'autres nations européennes, méditerranéennes et africaines, semble se faire aux dépens des Etats-Unis et à ceux d'autres pays qui en sont exclus. Dans le domaine de l'agriculture, ou les Etats-Unis ont un avantage comparatif, nous sommes particulièrement préoccupés par le fait que la politique de protection appliquée par la Communauté risque de restreindre l'entrée de nos produits.

Cette divergence arrive à un moment où nous connaissons un déficit chronique et croissant de notre balance des paiements et ou des pressions protectionnistes s'exercent dans notre pays. Les Européens s'interrogent à leur tour sur notre politique des investissements et ont des doutes sur notre engagement vis-à-vis de leur unité économique.

L'accumulation progressive de différends économiques, parfois mesquins, parfois capitaux, doit prendre fin et être remplacée par la détermination, des deux côtés de l'Atlantique, de trouver des solutions fondées sur la coopération.

Les Etats-Unis continueront à soutenir l'unification de l'Europe. Nous n'avons nullement l'intention de détruire ce que nous avons tant travaillé à contribuer à construire. Pour nous, l'unité européenne est ce qu'elle a toujours été; non pas une fin en elle-même, mais un moyen de renforcer les pays d'Occident. Nous continuerons à soutenir l'unité européenne, que nous considérons comme un élément d'une association atlantique plus large.

Nous entamons cette année de larges négociations commerciales avec l'Europe et avec le Japon. Nous continuerons aussi à activer les efforts déployés pour réformer le système monétaire, afin qu'il encourage la stabilité plutôt que des bouleversements perpétuels. Les relations commerciales et monétaires doivent trouver un nouvel équilibre.

Nous considérons ces négociations comme une chance historique d'aboutir à des réalisations positives. Elles doivent être menées par des leaders politiques de premier plan, car elles exigent par-dessus tout l'exercice d'une volonté politique. Si elles sont laissées uniquement à des experts, la compétitivité inévitable des intérêts économiques dominera le débat. L'influence des groupes de pression et des intérêts particuliers régnera partout. Aucune ligne générale de conduite ne s'imposera.

 

Les Etats-Unis ont l'intention d'aborder le problème sous un angle politique fort large, qui rendra justice à nos intérêts politiques prédominants dans le contexte d'un ordre économique ouvert et équilibré englobant l'Europe et le Japon. Tel est l'esprit du projet de loi sur le commerce présenté par le président et du discours qu'il a prononcé l’an dernier au Fonds monétaire international. Il guidera notre stratégie au cours des conversations monétaires et commerciales. Nous considérons ces négociations non comme une épreuve de force, mais comme la pierre de touche de notre politique commune.

 

L'unité atlantique s'est toujours réalisée le plus naturellement dans le domaine de la défense. Pendant de nombreuses années, les menaces militaires à l'encontre de l'Europe ont été dépourvues de toute ambiguïté; les conditions premières indispensables pour y faire face étaient généralement acceptées des deux côtés de l'Atlantique et la responsabilité de l'Amérique était évidente et prééminente. Aujourd'hui, l'objectif de la défense collective fait toujours l'unanimité parmi nous, mais nous sommes placés en face d'un nouveau défi : celui de son maintien dans des conditions stratégiques totalement différentes et compte tenu de la nouvelle occasion qui nous est offerte de consolider notre sécurité par le moyen de réductions des forces obtenues par des négociations.

L'Occident ne détient plus la supériorité nucléaire qui lui permettait, dans les années 1950 et 1960, de compter presque uniquement sur une stratégie de représailles nucléaires massives, car, dans des conditions de parité nucléaires, une telle stratégie serait une invitation au suicide mutuel. L'Alliance doit pouvoir choisir entre d'autres solutions. La capacité collective de résister aux attaques, en Europe occidentale, par le moyen d'un système flexible de réponses est devenue un élément central de toute stratégie rationnelle et présente une importance cruciale pour le maintien de la paix. C'est pourquoi les Etats-Unis ont maintenu des forces conventionnelles substantielles en Europe et nos alliés de l'OTAN se sont engagés dans un effort important pour moderniser et améliorer leurs propres appareils militaires.

 

La flexibilité s'assure à des conditions complexes et coûteuses. Par sa nature même, elle exige que l'on soit sensible aux conditions nouvelles et que des consultations se déroulent constamment entre les alliés, afin de répondre aux modifications des circonstances. Et nous devons appuyer par des réalités la position de défense que définit notre stratégie. Une réponse flexible ne peut être une simple étiquette apposée sur une structure de défense qui s'appuierait sur le plus faible dénominateur commun, en l'espèce sur des compromis inspirés par des considérations intérieures. Nos adversaires potentiels et nous-mêmes devons la considérer comme une position de défense rationnelle, solide et susceptible d'inspirer la confiance.

Beaucoup reste à faire pour donner une réalité à l'objectif de la riposte flexible :

- il existe des lacunes dans des secteurs importants de notre défense conventionnelle;

- dans notre doctrine, il y a encore des questions qui n'ont pas été résolues, et notamment la question essentielle du rôle des armes nucléaires tactiques;

- il y a des anomalies dans le déploiement des forces de l'OTAN ainsi que dans sa structure logistique.

 

 

Pour maintenir l'équilibre militaire qui a assuré la stabilité de l'Europe pendant 25 ans, l'Alliance n'a d'autre choix que de tenir compte de ces nécessités et d'aboutir à un accord sur les conditions indispensables de notre défense. Cette tâche est d'autant plus difficile que l'affaiblissement des tensions a donné une nouvelle impulsion aux arguments de ceux qui soutiennent qu'il est possible de commencer en toute sécurité à réduire unilatéralement les forces. En outre, une compétition économique débridée peut saper l'élan vers une défense commune. Tous les gouvernements de l'Alliance occidentale sont placés devant une tâche capitale, celle d'instruire leurs populations des réalités de la sécurité dans les années 1970.

 

Le Président m'a demandé de déclarer que l'Amérique s'engage toujours à assumer sa juste part de la défense atlantique. Il est opposé de façon inflexible à des retraits unilatéraux des forces américaines stationnées en

Europe. Mais nous devons à nos populations respectives une position de défense rationnelle, dont l'ampleur

et les coûts devront être maintenus au minimum compatible avec la sécurité et comportant une répartition équitable des fardeaux. C'est ce que le président pense voir sortir du dialogue mené en 1973 avec nos alliés.

 

Lorsque cela sera fait, les forces américaines nécessaires seront maintenues en Europe, non pas simplement comme un garant de l'utilisation éventuelle de nos armes nucléaires, mais comme une contribution essentielle à une structure de la défense occidentale cohérente, sur laquelle nous soyons tous d'accord. Cela nous permettra également de disposer d'arguments judicieux lors des négociations engagées avec nos adversaires et portant sur des réductions équilibrées et mutuelles de nos forces.

 

Dans les prochaines semaines, les Etats-Unis présenteront à l'OTAN les fruits de leurs propres travaux préparatoires en vue des négociations sur une réduction mutuelle et équilibrée des forces en Europe qui doivent s'engager cette année. Nous espérons qu'elles contribueront à élargir le dialogue sur la sécurité.

 

Notre manière d'aborder ce problème est conçue en fonction non point d'intérêts spécifiquement américains, mais des intérêts généraux de l'Alliance. Notre position traduira l'opinion du président, à savoir que ces négociations ne sont pas un subterfuge visant à retirer les forces américaines sans se préoccuper des conséquences. Aucune formule de réduction n'est acceptable - quelle que soit sa popularité sur le plan intérieur ou les raisons politiques qui la motivent - si elle compromet la sécurité.

L'objectif que nous visons, dans le dialogue au sujet de la défense, est un nouveau consensus sur la sécurité axé sur les conditions nouvelles et les nouvelles possibilités encourageantes de limitation efficace des armements.

 

Nous avons entamé une période véritablement remarquable dans la diplomatie Est-Ouest. Les deux dernières années ont vu la signature d'un accord sur Berlin, d'un traité entre l'Allemagne de l'Ouest et l'Union

Soviétique et d'un accord SALT; le début des négociations relatives à une conférence européenne sur la sécurité et à la réduction mutuelle et équilibrée des forces; ainsi que la conclusion d'une série d'importants accords pratiques bilatéraux entre les pays de l'Ouest et deux de l’Est, portant notamment sur un changement radical dans les relations entre les Etats-Unis et l'Union Soviétique. Il ne s'est pas agi là d'actions isolées, mais d'étapes d'un mouvement amorcé en 1969 et poursuivi dans un cadre collectif. Notre attitude vis-à-vis de la détente a été d'insister pour que les négociations soient concrètes, et non pas émotionnelles, et que les concessions soient réciproques. Nous avons l'intention de poursuivre sur cette base notre politique visant au relâchement des tensions.

 

Pourtant ce succès même a engendré ses propres problèmes. La possibilité de voir la diplomatie des superpuissances sacrifier les intérêts des alliés traditionnels et autres amis fait l'objet d'une inquiétude croissante. Nous avons scrupuleusement consulté nos alliés lorsqu'ils sont directement concernés, comme lors des négociations sur la réduction mutuelle et équilibrée des forces et notre attitude consiste à agir de concert en partant de positions adoptées d'un commun accord. Pourtant, certains de nos amis d'Europe ont semblé ne pas vouloir faire bénéficier l'Amérique de la même confiance quant à ses motifs qu'elle leur a accordée, ou lui permettre la même souplesse tactique qu'ils ont utilisée dans la poursuite de leur propre politique. Les Etats-Unis sont maintenant souvent blâmés pour leur souplesse là où on les critiquait habituellement pour leur rigidité.

Tout cela souligne la nécessité de définir, avec nos alliés, un ensemble précis d'objectifs communs. Cela fait,

il sera tout à fait possible, et même désirable, pour les divers alliés de poursuivre ces buts avec une grande souplesse tactique. Si nous nous mettons d'accord sur des objectifs communs, la question de savoir si une mesure particulière est poursuivie dans une instance donnée ou s'il faut procéder bilatéralement ou multilatéralement deviendra une question technique. Alors les alliés qui désirent être rassurés sur l'engagement de l'Alliance ne vont trouver cette assurance dans des déclarations de loyauté, mais dans le cadre d'un vaste accord sur les objectifs. Il est inutile que nous soyons d'accord sur tous les aspects de la politique. Dans de nombreuses régions du monde, notre attitude différera, particulièrement hors d'Europe.

Mais nous demandons instamment que soit réalisé un accord sur les dispositions à prendre en commun et sur les limites que nous devrions imposer à notre autonomie.

Nous n'avons aucunement l'intention d'acheter une tranquillité illusoire aux dépens de nos amis. Les Etats-

Unis ne sacrifieront jamais sciemment les intérêts d'autres pays. Mais on ne perçoit pas automatiquement les intérêts communs, cela demande une redéfinition constante. Le relâchement des tensions auquel nous nous sommes attachés rend la cohésion alliée indispensable et pourtant plus difficile. Nous devons nous assurer que l'impulsion de la détente soit maintenue par des objectifs communs, plutôt que par des flottements, dérobades ou complaisances.

 

Le calendrier que j'ai esquissé ici n'est pas une prescription de la part de l'Amérique, mais un appel à un effort commun de créativité. Une occasion historique qui s'offre à cette génération, celle de construire une nouvelle structure de relations internationales pour les décennies à venir. Une association atlantique revigorée est pour cela indispensable.

Les Etats-Unis sont prêts à apporter leur contribution :

- Nous continuerons à soutenir l'unité européenne. En nous basant sur le principe de l'association, nous ferons des concessions en vue de son plus grand développement. Nous espérons qu'on nous répondra dans un esprit de réciprocité.

- Nous ne renierons pas nos engagements solennels envers nos alliés. Nous maintiendrons nos forces et nous ne nous retirerons pas unilatéralement d'Europe. En revanche, nous attendrons de chaque allié qu'il assume une part équitable de l'effort commun pour la défense commune.

- Nous continuerons à poursuivre le relâchement des tensions avec nos adversaires sur la base de négociations concrètes dans l'intérêt commun. Nous accueillons avec satisfaction la participation de nos amis à un dialogue constructif Est-Ouest.

- Nous ne porterons jamais délibérément atteinte aux intérêts de nos amis en Europe ou en Asie. Nous attendrons, en retour, que leur politique tienne sérieusement compte de nos intérêts et de nos responsabilités.

- Nous sommes prêts à travailler en coopération aux nouveaux problèmes communs qui se posent à nous.

L'énergie, par exemple, soulève les questions critiques de l'assurance du ravitaillement, de l'impact des revenus pétroliers sur la stabilité monétaire internationale, de la nature des intérêts politiques et stratégiques communs et des relations à long terme des pays consommateurs et des pays producteurs de pétrole. Ce pourrait être un domaine de concurrence, ce devrait être un domaine de collaboration.

 

Tout comme l'autonomie de l'Europe n'est pas une fin en soi, de même la Communauté européenne ne peut être un club exclusif. Le Japon doit être un des partenaires principaux de notre entreprise commune.

Nous espérons que nos amis européens se joindront à nous dans cet esprit.

 

Nous avons devant nous l'exemple des grandes réalisations des décennies écoulées - et l'occasion de les égaler et de les dépasser. Telle est la tâche à accomplir. C'est de cette manière que, dans les années 1970, les nations atlantiques peuvent véritablement servir leurs peuples et la cause de la paix